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«Il faut placer l’Enfant au cœur du système éducatif. L’institution scolaire n’est pas assez centrée autour de lui, de son rythme et de ses besoins.»

Anne-Marie Houillon, vice-présidente de la Ligue de l’enseignement

Anne-Marie Houillon a longtemps enseigné, formé en France et en Afrique. Aujourd’hui vice-présidente de la Ligue de l’enseignement en charge des questions européennes et des relations internationales, cette ancienne inspectrice d’académie porte les projets de la Ligue en Europe et dans le monde. Rencontre avec une militante engagée.

«Vous êtes l’un des professeurs qui m’a le plus marquée! » Le courriel que lui a récemment adressé une (très) ancienne élève, croisée le temps d’une lointaine année scolaire alors qu’elle enseignait la philosophie du côté de Grenoble et ressurgie du passé par la magie des réseaux sociaux, a plongé Anne-Marie Houillon dans une heureuse introspection. Voilà bien la preuve, confie-t-elle comme si elle en doutait encore, que son engagement professionnel avait « du sens » et qu’il justifiait bien quelques sacrifices.

Enseignante retraitée mais toujours passionnée, Anne-Marie a consacré sa vie professionnelle et une bonne partie de son temps libre au monde éducatif. Aujourd’hui administratrice et vice-présidente de la Ligue de l’enseignement en charge des questions européennes et des relations internationales, la voilà tournée vers des projets en Tunisie et « tout autour de la Méditerranée », telle une militante globe-trotteuse « toujours révoltée contre l’injustice ».

Un jour, l’un de ses fils, alors enfant, a chiffonné et jeté à la poubelle un paquet de copies d’élèves de terminale, jugeant Maman trop peu disponible. « J’ai repassé mes copies au fer, souritelle, et j’ai réfléchi à la meilleure manière de combiner vie professionnelle et vie personnelle. » Un choix difficile hier comme il peut encore l’être pour les femmes aujourd’hui. Anne-Marie a tranché : « J’ai privilégié la qualité du temps consacré à mon mari et à ma famille plutôt que la quantité. Mes trois enfants me l’ont reproché. » Mais visiblement peu rancuniers envers l’Éducation nationale, tous œuvrent aujourd’hui dans l’enseignement… « Je ne les ai pas dégoûtés d’un métier qui m’a rendue tellement heureuse », glisse-t-elle.

Enseignante, directrice, inspectrice…

Il lui a pourtant fallu cravacher pour gravir les marches une à une. Elle fut tour à tour lauréate de l’École normale (ex-IUFM), professeure de philosophie, inspectrice des écoles maternelles puis inspectrice départementale à Auxerre, directrice adjointe de l’École normale de Dijon, directrice de l’École normale de Mâcon, inspectrice d’académie… Autant de concours, d’examens, de diplômes. « Je ne voulais pas passer le concours d’inspectrice avant que mon fils ne sache lire », relève-t-elle. C’est la vie de famille qui a imposé le tempo professionnel, et non l’inverse. …

Et militante de l’éducation populaire

Et puis il y eut la rencontre, marquante et même décisive, avec l’éducation populaire. « C’était dans le cadre de mes activités à l’Éducation nationale, se souvient Anne-Marie, un stage qu’on appellerait aujourd’hui le Bafa. » Animatrice de colonies de vacances plusieurs étés durant, l’enseignante multiplie les balades en montagne et les activités artistiques avec les jeunes qu’elle encadre, choquée de constater que certains de ces enfants ne partent jamais en vacances. « Tout au long de ces années, j’ai modestement tenté de lutter contre les injustices que j’ai rencontrées, explique-t-elle. D’abord je me révolte, ensuite je mets ma raison au service de cette révolte… »

Révolte et raison l’ont conduite à pousser les portes de la Ligue de l’enseignement, « maison mère », dit-elle, de l’éducation populaire et qui devient très vite sa « famille d’idées et de cœur ». Tout s’enchaîne alors « très naturellement » : présidente de la fédération de Saône-et-Loire (son département d’adoption où elle réside toujours aujourd’hui), élue au conseil d’administration national de la Ligue, ancienne présidente déléguée en charge de l’éducation…

Anne-Marie a longtemps multiplié les interventions et les tables rondes aux quatre coins de la France, mettant son regard et son vécu d’enseignante et d’inspectrice académique au service de la Ligue. « Il faut placer l’enfant au cœur du système éducatif, martèle t-elle. L’institution scolaire n’est pas assez centrée autour de lui, de son rythme et de ses besoins. » Elle rappelle les propositions de la Ligue, rassemblées dans le manifeste « L’école que nous voulons », qui « révolutionneraient quelques habitudes enracinées » si elles étaient « enfin » déclinées dans les écoles. Car l’Éducation nationale peine à se remettre en question et à se réformer.

au-delà de l’hexagone

Mais alors que beaucoup pointent la crise qui frappe aujourd’hui l’Éducation nationale, parfois jugée coupable de favoriser la reproduction des inégalités sociales, AnneMarie veut y croire. La plupart des enseignants ont la « flamme », affirme celle qui a côtoyé et formé tant de professeurs lorsqu’elle était directrice d’École normale et inspectrice d’académie. « Quand j’inspectais, j’avais l’habitude de rédiger mon rapport avec les enseignants. Je voulais que, au-delà de l’aspect hiérarchique, ils prennent pleinement conscience de l’importance de notre métier. » Elle-même dit avoir « adoré » une profession où elle n’avait « jamais l’impression de faire deux fois la même chose ».

Enseigner est un métier, c’est aussi un enjeu de société, insistet-elle, et l’Éducation nationale comme la Ligue de l’enseignement remplissent une mission essentielle qui peut s’exprimer bien plus loin que les frontières de l’Hexagone. « Toute mon histoire professionnelle me préparait aux questions d’éducation de la Ligue, observe l’ancienne prof, et toute mon histoire militante était tournée vers d’autres pays, notamment l’Afrique. » Après avoir pris du recul pour faire face à quelques épreuves personnelles, Anne-Marie est revenue à la Ligue en tant qu’élue en charge des relations internationales.

Enfant, elle suivait son père, militaire, au gré de ses affectations. Madagascar l’avait marquée. Devenue inspectrice des maternelles, elle a accueilli dans sa circonscription des stagiaires africains un mois par an pendant plusieurs années, venus se former à l’enseignement périscolaire. Plus tard, la militante-formatrice est partie pour l’Afrique afin d’inspecter les enseignants formés en France.

Inscrire les projets dans la durée

Autant de souvenirs marquants qui l’aident aujourd’hui à piloter les actions de la Ligue à l’étranger. Elle se souvient du Bénin: « Après trois semaines passées à travailler avec la population locale, j’étais repartie en me demandant s’il fallait retourner au même endroit l’année suivante pour suivre les progrès réalisés? Ou aller à la rencontre de nouvelles populations? » Peut-être les deux. Car les projets de coopération ne peuvent s’inscrire que dans la durée. Elle cite Aminata, une ancienne stagiaire devenue « un personnage clé » du ministère de l’Éducation nationale du Gabon.

Accompagner des professionnels jusqu’à ce qu’ils prennent leur envol : tel est le sens des actions de la vice-présidente de la Ligue, aujourd’hui menées en direction de plusieurs pays méditerranéens. Plus généralement, le secteur « Europe et solidarité internationale » de la Ligue appuie les projets des fédérations et représente la Ligue dans les collectifs internationaux pour tenter de peser sur les enjeux qu’elle défend: solidarité, citoyenneté, éducation pour tous… Autant de valeurs qui ont guidé l’engagement d’Anne-Marie, autant d’enjeux qui justifient aujourd’hui encore son action militante.

Est-elle découragée, parfois, de constater que certaines des injustices qu’elle combat persistent? « C’est trop facile, répond Anne-Marie, de ne rien faire parce que l’on est découragé. C’est même, s’amuse t-elle, parce que l’on est découragé qu’il faut agir. Et d’ajouter : Je suis heureuse partout où je peux me sentir au service de l’intérêt général. » Partout, c’est en France, au Bénin, au Gabon, en Tunisie…

Sylvain HENRY

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