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Albert Bayet, défenseur de l'école laïque (1880 - 1961)

PRÉSIDENT DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT DE 1945 À 1959

Fils de Charles Bayet (1849-1918) qui fut successivement professeur à la faculté des lettres de Lyon, recteur de l’Académie de Lille puis directeur de l’Enseignement primaire et de l’Enseignement supérieur, Albert Bayet entra à l’École normale supérieure en 1898 et fut reçu à l’agrégation de lettres en 1901. Contre l’avis de son père, il épousa en 1905 Andrée Aulard, fille de l’historien de la Révolution française Alphonse Aulard, longtemps membre du Conseil Général de la Ligue de l’enseignement et qui l’influença profondément. Pour ne pas avoir à quitter la capitale, il fit d’abord le choix d’enseigner dans des institutions privées : le collège Sainte-Barbe (1901), puis l’École Alsacienne (1905). Engagé volontaire en 1914, il fit la guerre qui le conduisit à Salonique. Après la guerre, nommé au lycée Henri IV (1918), puis au lycée Louis-le-Grand (1919), il soutint en 1922 sa thèse de doctorat entreprise sous la direction de Lucien Lévy-Bruhl sur Le suicide et la morale. En 1922 également, il fut nommé directeur d’études à l’École des Hautes Études dans la chaire d’Histoire des idées morales. En 1932, il devint professeur de sociologie à la Sorbonne.

 

Albert Bayet mit sa vie durant sa grande culture et son talent au service d’un idéal républicain se rattachant à la tradition radicale, jacobine et laïque. Il combattit toute sa vie en faveur de la laïcité. Il entra dès avant 1914 dans le journalisme politique, collaborant notamment à L’Action, organe de combat anticlérical. Dans sa jeunesse, il a pu apparaître comme une sorte de trublion de la laïcité, n’hésitant pas à prendre des positions d’avant-garde et à se mettre au centre de polémiques intellectuelles. Son manuel pour l’enseignement primaire Leçons de morale (1902) fit scandale, obligeant son père, directeur de l’enseignement primaire, à le désavouer. Son ouvrage La Morale scientifique (1905) fut également fort contesté : il y faisait l’éloge d’une morale laïque fondée sur les prévisions de la science, résolument progressiste et hostile à tout conformisme. Bien que de telles idées aient pu impacter partiellement la Ligue de l’enseignement, il ne semble pas en avoir été membre actif à cette époque.

 

Entre les deux guerres l’influence d’Albert Bayet au sein du milieu laïque s’amplifia. Il s’érigea en véritable porte parole de la laïcité militante, publiant des ouvrages de vulgarisation (comme La morale laïque et ses adversaires en 1925, Notre morale en 1926), ou intervenant dans les journaux lus par le monde enseignant. Il rédigea par exemple de nombreux articles pour L’Ecole libératrice, l’organe du SNI fondé en 1929. Bayet participa aussi à des campagnes de défense de la laïcité scolaire, n’hésitant pas à transgresser parfois les consignes des grandes organisations laïques. Mais dans le même temps, il se rapprocha de la Ligue de l’enseignement : Il fut élu pour la première fois au Conseil Général en 1929, en démissionna en 1935 en raison d’une surcharge d’activités, avant d’effectuer un retour définitif en 1938. Il mit également en 1938 une page de son journal La Lumière à disposition de la Ligue de l’enseignement chaque semaine. Ses articles dans L’Action laïque, tous consacrés à la thématique de la laïcité, étaient déjà relativement nombreux dans les trois années précédant la guerre.

 

Par ailleurs, il continuait à cette époque à animer un combat philosophique s’en prenant aux croyances chrétiennes (voir Le problème de Jésus et les Origines du christianisme, avec  Prosper Alfaric et Paul-Louis Couchoud, 1932) ou approfondissant la perspective d’un  rationalisme en lien étroit avec la science (La morale de la science, 1931, puis 1947). Identifiant alors volontiers laïcité et rationalisme, il participa à la création de l’Union Rationaliste en 1930 et en devint secrétaire général. Cette dimension de laïcité de combat n’était cependant qu’une face de ses engagements. Il fut également vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme jusqu’en 1940 et surtout membre influent du Parti radical, où il était un représentant de l’aile gauche, soutenant le Front populaire. Sa confiance en Daladier, dont il avait soutenu les efforts de rénovation du parti, fut cependant déçue et Bayet se montra en 1938 fermement anti-munichois ; il fonda alors le groupement antifasciste « Paix et démocratie » avec Victor Basch et Paul Langevin. Mais s’il fut ferme vis à vis du fascisme hitlérien, il se montra aveugle, comme beaucoup de gens de gauche, vis à vis du stalinisme : apparaissant comme un ami de l’Union Soviétique, il se déclara convaincu de la culpabilité des accusés des procès de Moscou.

 

En 1940, fermement opposé à l’Armistice et replié à la faculté de Toulouse, il fut révoqué par Vichy. En 1942, se trouvant à Lyon, il entra en contact avec le mouvement de résistance « Franc-Tireur », dont malgré son âge, il tint à partager le travail et les risques de la clandestinité. Il entra au Comité directeur de ce mouvement sous le pseudonyme de « Dumont », et participa activement à la rédaction et à la diffusion du journal. Il publia une brochure, Pétain et la Ve colonne, diffusée clandestinement, qui fut le plus gros succès de librairie clandestine de l’Occupation. En 1943, malgré le danger, il avait regagné Paris où il était devenu un des représentants du Mouvement de Libération nationale dans la zone Nord. Il siégea en 1944-1945 à l’Assemblée consultative. Il se consacra également à la mise sur pied d’une presse libre pour l’après-guerre, devenant en 1944 président de la Fédération de la Presse française. La période de l’Occupation fut aussi une occasion de renouer avec la laïcité sur une base différente de l’avant-guerre, en mettant en avant le thème du dialogue avec les milieux chrétiens, ceux du moins qui avaient participé à la Résistance. C’est dans cet esprit que Bayet fut membre en 1945 de la Commission Philip qui cependant ne parvint pas à surmonter la querelle scolaire. En 1944, ayant renoué avec des éléments clandestins du SNI et de la Ligue de l’enseignement il adressa avec d’autres un « Message aux laïques de France » et c’est assez naturellement en raison de son prestige de résistant qu’il fut choisi comme président de la Ligue de l’enseignement reconstituée, d’abord à la tête du bureau parisien clandestin puis après la Libération par une désignation en règle, le 2 novembre 1944. C’est à cette fonction qu’il se consacra désormais de manière quasi-exclusive, surtout après son exclusion du parti radical en 1946.

 

Sa présidence fut principalement marquée par la reprise du conflit scolaire et son intensification autour de la question des subventions à l’enseignement privé. Albert Bayet prit une part active au regroupement des forces laïques qui devait aboutir en 1953 à la fondation du CNAL, dont il fut le président incontesté plusieurs années durant. En 1948, il avait joué un rôle décisif lors des seconds Etats généraux de la France laïque, pour établir l’autonomie d’action des organisations laïques vis à vis des partis politiques de gauche. Cependant il agissait parfois en franc-tireur, n’hésitant pas en 1949 lorsque l’ancien président du CNR, le démocrate-chrétien Georges Bidault, devint président du Conseil, à solliciter une reprise du dialogue avec l’enseignement privé, ce qui ne fut pas apprécié du SNI et d’autres partenaires laïques. Il s’était rallié à l’idée de nationalisation de l’enseignement à laquelle il voulait donner le sens d’une « réconciliation française » où toutes les familles de pensée se trouveraient réunies. Il s’efforça aussi au cours des années 1950 d’introduire lors de journées d’études militantes de la Ligue de l’enseignement une discussion sur l’ actualisation de l’idéal laïque, dont il transposa les acquis dans l’un de ses derniers ouvrages, Laïcité XXè siècle (1958). Tous ces efforts furent cependant limités par un contexte fortement conflictuel qui tendait à reproduire ce que Bayet nommait la « laïcité irritée », éloignée de l’idéal de concorde qui était devenu le sien.


Il demeura président de la Ligue de l’enseignement jusqu’en 1959. Son départ s’inscrit dans une crise interne de l’organisation, aux dimensions multiples. En juillet 1959, l’élection inattendue (par une voix de majorité) au poste de secrétaire général de Robert Dader contre le candidat pressenti par le SNI (Clément Durand) entraina une onde de choc. Bayet présenta sa démission car il se sentait désavoué et ne se retrouvait plus dans un fonctionnement du bureau où l’autorité du président allait être affaiblie au profit de celle du secrétaire général. En réalité, son départ soulagea l’organisation qui supportait difficilement la position qu’avait prise son président l’année précédente en approuvant la Constitution de la Vè République et surtout son cheminement personnel en faveur de l’Algérie française dont il se montra jusqu’au bout un partisan convaincu. Il mourut le 26 juin 1961.

Pour aller plus loin..: 

 

  • Dictionnaire du Mouvement ouvrier/ Mouvement social (MAITRON) (notice de N Racine)
  • Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Vol 9 : Les sciences religieuses (F Laplanche, dir), Beauchesne, 1996 (notice de J Lalouette)
  • N Sévilla, la Ligue de l’enseignement-Confédération Générale des Œuvres Laïques (1919-1939), Thèse d’Histoire, IEP de Paris, 2004.
  • J-P Martin, La Ligue de l’enseignement. Une histoire politique (1866-2016), Presses Universitaires de Rennes, 2016.
Jean-Paul MARTIN

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