isabelle Arpin : l'expérience de la classe de découvertes
Institutrice en maternelle
Institutrice épanouie en maternelle à Poncin (Ain), Isabelle Arpin emmène chaque année ses élèves en classe de découvertes. Pour tous les participants, un moment à la fois magique et particulier.
Aussi loin que remontent ses souvenirs, Isabelle Arpin a toujours voulu être enseignante. À 16 ans, elle obtient son BAFA, puis elle s’arrange pour passer sa licence de droit en cinq ans afin de conserver son poste de surveillante dans une école primaire. Mais une fois le concours d’« instit » en poche, le rêve tourne au cauchemar. « J’ai été balancée sur le terrain, sans expérience, en remplacement d’une remplaçante. J’ai traversé des moments de perdition. J’ai sans doute proposé des choses inadaptées aux enfants », se souvient-elle. « J’avais une peur bleue que les parents se rendent compte que je flottais totalement et comme je vivais seule, je n’avais personne à qui me confier après la classe. » Près de 21 ans se sont écoulés et Isabelle Arpin est aujourd’hui une enseignante épanouie. Depuis 2006, elle s’occupe des grandes sections de maternelle à l’école du Veyron de Poncin (Ain). Forcément plus sûre d’elle, mère de famille, « Isa » a appris un métier qu’elle adore : « L’expérience s’acquiert, j’ai trouvé la bonne distance avec les parents et les enfants. » Dans la classe de Mme Arpin, pas de place pour la routine. Ultra-méticuleuse pour préparer et planifier les choses, la maîtresse aime paradoxalement surprendre ses élèves en leur proposant des activités (chants, contes) ou des sorties imprévues (en raquettes, à la piscine). « Mon but est vraiment de les rendre curieux et autonomes », explique l’intéressée qui utilise l’humour pour faire passer son message.
Les parents mis à contribution
Dans cette logique, elle emmène chaque année ses troupes en classe de découvertes. Pendant une semaine, les enfants vivent une expérience en bord de mer, à la ferme ou à la montagne, et peuvent pratiquer des activités telles que la nage ou l’équitation au centre de Cap Saint-Front (Haute-Loire), cogéré par la Ligue de l’enseignement. « Cela me permet aussi d’impliquer les parents dans la vie de la classe », souligne cette passionnée de broderie. « Car on prépare ce séjour – qui se déroule généralement en mai – bien en amont. » Pour le financer, lesdits parents sont mis à contribution en vendant des fleurs, des calendriers ou des bugnes (une spécialité culinaire de la région qui se rapproche du beignet). Mais surtout, Isabelle sélectionne avec soin les quatre ou cinq pères de famille qui l’accompagneront pendant ce séjour : « Une présence masculine à mes côtés me semble importante. »
Pendant le séjour, la magie opère de façon quasi systématique. Les enfants profitent totalement de cette « parenthèse » bien particulière. « Je suis convaincue que les classes de découvertes permettent aux élèves d’acquérir des connaissances nouvelles, différentes de celles de l’école; ils se libèrent, prennent confiance en eux. Je les découvre, ils me découvrent et nous vivons des moments uniques », raconte cette fan de Jean Ferrat qui n’hésite jamais à sortir sa guitare. Le soir, pour rassurer les parents restés à Poncin, Isabelle rédige un texte sur chaque enfant et envoie des photos via un site web. Si ses élèves ressortent plus mûrs et plus sûrs d’eux – car ils ont eu le courage de passer une semaine loin de leur famille –, le retour en classe reste toujours un moment délicat. « Ils sont certes transformés mais aussi un peu difficiles. Ils s’autorisent des choses car ils ont vu leur maîtresse en pyjama, ont reçu un bisou d’elle avant d’aller se coucher. Il faut donc les recadrer. En revanche, ils sont prêts pour l’école primaire », jubile l’intéressée d’une voix douce.
Satisfaite de son sort
Quand on l’interroge sur sa profession, Isabelle n’élude aucun sujet. Et trouve son statut plutôt enviable. « J’ai lu que les enseignants français étaient les moins bien payés d’Europe derrière les grecs », s’amuse-t-elle. « Mais notre salaire reste assez confortable. En revanche, le grand public ne voit que nos horaires entre 8h30 et 16h30. Il oublie les réunions pédagogiques, la préparation. Or mon travail ne se résume pas au temps passé dans la classe. Mais quand on obtient la reconnaissance de ses collègues, des parents, quel bonheur! Donc je n’ai pas spécialement de choses à revendiquer. Je me considère comme une privilégiée car on a de vrais temps de vacances. » Durant ces périodes, Isabelle met sa petite famille dans une caravane et parcourt la France. Les Hautes-Alpes figuraient au programme de l’été 2012. Ses trois enfants (une fille au lycée, un garçon au collège et un autre en primaire) occupent la plupart de son temps libre. Tandis que son mari, qui travaillait dans une cuivrerie, est actuellement en reconversion pour devenir ambulancier. « Ils me voient souvent la tête dans le guidon. Or le plus dur est d’arriver à décrocher. Chaque fois qu’on fait quelque chose, qu’on va quelque part, qu’on regarde un objet, cela donne des idées pour une application pédagogique. En plus, sur Internet on trouve plein de propositions, de choses à faire avec les élèves. Forcément, on ne peut pas tout expérimenter ; d’ailleurs, certains collègues ressentent une sorte de frustration à ne pas pouvoir tester toutes leurs idées. » En pleine nature, sa maison de Saint-Alban, un village viticole entre Ambérieu-en-Bugey et Nantua, lui permet de couper, en regardant les chevreuils ou les sangliers au moment où le soleil se couche. Sa passion pour les ouvrages et romans régionaux, le jardinage et le VTT contribue également à son équilibre.
Une angoissée qui n’aime pas la routine
À 45 ans et même si elle n’a pas fait le tour de la question sur le plan professionnel, Isabelle songe à changer de poste dans un futur pas trop lointain. Histoire d’éviter toute routine. « J’aimerais m’occuper de déficients mentaux ou visuels car j’ai toujours été sensible au fait de n’oublier personne. Dans mes classes, j’ai un regard différent et rassurant pour les élèves en difficulté. Je pourrais aussi repartir sur un poste de remplaçante, comme à mes débuts », raconte cette formatrice, qui transmet son expérience un jour par semaine à ses stagiaires. Autoritaire sans être sévère, abordable bien que bosseuse et perfectionniste, cette femme « plutôt à gauche » se dit « un peu militante sur certains points mais sans œillère, et sachant prendre du recul ». Chez cette enseignante, tout semble couler de source, dans un bonheur simple et sans artifice. Pourtant, elle se laisse aller à une confidence inattendue : « Je pense que mes cheveux blancs trahissent mon angoisse. Je suis quelqu’un de très stressée, et rien que le fait d’être le sujet d’un portrait m’angoissait beaucoup. Mais en même temps, dans la vie, j’aime relever toutes sortes de challenges. » Elle avait donc préparé deux citations qu’elle recherche dans son cahier : « Être enseignant n’est pas un choix de carrière mais un choix de vie » (François Mitterrand); « On ne peut enseigner que ce que l’on est » (Jean Jaurès). C’est curieux, mais on aurait juré que ces deux grandes figures de la gauche pensaient à Isabelle Arpin…