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Jean-Jacques Céris témoigne sur « De l’animation volontaire à la valorisation professionnelle ».

« Le temps d’aujourd’hui est fait du temps de jadis, d’avant-hier et de hier »  (Fernand Braudel).

De « l’animation volontaire à la valorisation professionnelle », je crois qu’il n’y eut, dans les années 60, que le temps d’une prise de conscience que l’éducation populaire, - alors principalement animée par des acteurs bénévoles -, était un facteur d’intégration sociale, tel que le considéraient les gouvernants, mais pouvait être aussi facteur de transformation sociale, tel que l’espéraient les militants des mouvements d’idées comme la Ligue de l'enseignement.

C’était un débat qui traversa notre jeunesse militante, nous avions 18 ans, animateurs bénévoles aux « Franc-camarades » du Var, ou dans les Foyers de Jeunes et d’Education populaire alors naturellement fédérés et installés au cœur de la Fédération des Œuvres Laïques du Var.

Dans le contexte de l’époque, « pré-soixante-huitard », nous usions habilement des moyens mis à notre disposition par des mesures gouvernementales « intégrantes », telles celles du Plan Jeunesse porté par François Missoffe, Ministre gaulliste de la Jeunesse et des Sports, qui voyait, à travers ces milliers d’équipements légers, préfabriqués,  du programme national  des «  1000 Clubs », proposés aux communes de France comme  outils  de loisirs et d’intégration pour cette jeunesse à laquelle le Ministre allait s’adresser directement…

En fait ceux-ci devinrent rapidement des équipements d’appoint pour notamment des « Amicales Laïques » de quartiers et Foyers ruraux de villages,  qui trouvaient là le moyen de créer en leur sein une section « Club de Jeunes » en leur dédiant un local. Cette opportunité ouvrit le champ et les conditions d’une éducation populaire porteuse de transformation sociale. Cela eut aussi pour effet d’installer et  d’esquisser les contours d’un métier en émergence, celui d’animateur permanent.

Dans le même temps apparut une conception nouvelle de  l’animation, issue de la question du « sens » : Plutôt que développer des activités dans un esprit consumériste de loisirs, user de celles-ci comme nourriture éducative porteuse d’émancipation, de compréhension du monde, d’initiation aux valeurs humanistes, de découverte de l’altérité, de l’action collective, de la solidarité, bref de transformation sociale.

C’était le concept de « l’animation globale », tel que la Ligue de l’enseignement le prônait alors.  C’est-à-dire  prendre en compte, en même temps,  les dimensions économiques sociales et culturelles des milieux de vie dans lesquels l’action d’animation allait se développer. (Préconisation qui deviendra 10 ans plus tard le programme opérationnel  « Vivre en Ville » impulsé par la Ligue de l’enseignement). Ce fut pensé comme pouvant devenir un levier, un axe à finalité d’émancipation individuelle et collective, un substrat de cette transformation sociale espérée…

A cette tâche éducative nouvelle devait correspondre un profil nouveau d’animateurs « globaux » et permanents. A noter qu’à cette même époque on assistera, notamment à l’intérieur du Mouvement des MJC, au débat opposant les tenants de la conception « animateur de procédures », - sous-entendus neutres-, aux tenants  des « animateurs de contenus », -sous-entendus directifs quant au sens de l’action.

« D’année en  année, on assiste à une prise de conscience de plus en plus nette de cette réalité par les pouvoirs publics, les collectivités locales, les Mouvements de Jeunesse et l’opinion. Dans le sens de cette évolution a été institué en 1964 un Diplôme d’État de Conseiller d’Éducation Populaire : le DECEP, par le secrétariat d’Etat de la Jeunesse et des Sports »  (R. Gallet Secrétaire Général Adjoint de la LFEEP).

Avec cette mesure, poursuit-il, se « profile un cadre nouveau d’éducateur spécialisé, l’animateur professionnel permanent par opposition à l’animateur bénévole ».

Bien que ce diplôme, dans sa conception première dût servir les deux statuts pour garantir de façon identique un certain niveau d’aptitudes, de connaissances et d’expériences pratiques tel qu’il paraissait souhaitable de voir atteindre par tout éducateur « extra-scolaire » bénévole ou permanent.

Dans cette période de transition, du bénévolat à la professionnalisation, ce diplôme n’est pas encore attaché à une fonction spécifique, mais prend l’allure de ce qui deviendra une valorisation professionnelle du bénévolat pour certains.

En effet, il y avait longtemps qu’agissaient au plan local, départemental, des animateurs sans titre,  « sur le tas », sans diplôme et sans médaille,  la preuve de leur engagement, leur dévouement et de leur capacité d’animateurs de l’Education Populaire, que ce soit à titre bénévole, ou  indemnisés, sinon plus rarement rétribués.

Ce DECEP cependant reconnaît l’existence de l’Éducation Populaire 80 ans après celle de l’Ecole Publique.

Il  est très facilement obtenu. Son contenu assez factuel  ne saurait suffire et satisfaire les exigences de la Ligue de l’enseignement  en matière de formation qualifiante d’animateur professionnel permanent dont le besoin se fait sentir à tous les niveaux de ce Mouvement laïque  d’Éducation. Il faut à la Ligue de l’enseignement des animateurs totalement engagés dans un processus éducatif de transformation sociale, dont le « savoir être » prend autant d’importance que le « savoir-faire », il doit de surcroît concourir explicitement à la transmission des valeurs de la Ligue de l’enseignement telles que Jean Macé les a proclamées, 100 ans plus tôt, et poursuivre l’œuvre de création,  d’une société plus juste et plus fraternelle.

J’étais un jeune Président d’un club de jeunes de la Seyne-sur-mer, affilié à la Fol du Var. Proposition m’est faite par celle-ci  de représenter la Fol à un grand rassemblement national de la jeunesse organisé par la Ligue de l’enseignement à Beauregard, proche de Soisson, en juin 1966, à l’occasion de la commémoration de la création 100 ans plus tôt  de la Ligue Française de l’enseignement. Parmi les nombreuses activités proposées dans l’enceinte du regroupement, il y avait notamment des stands d’information jeunesse. L’un d’eux portait à son fronton : « Devenez animateur permanent de la Ligue de l’enseignement » Inscrivez-vous au prochain concours pour accéder à la 3ème promotion nationale des animateurs ! Ce fut pour moi une révélation. Je m’inscrivis.

A propos de ces « permanents », R. Gallet, dignitaire national de la Ligue de l’enseignement,  ne dira-t-il pas: « Notre chemin à tous est forcément le même : faire penser ceux qui ne pensent pas, faire agir ceux qui n’agissent pas, faire des hommes et des citoyens ! ».

Tout cela pour justifier aux yeux de certains  responsables de la Ligue de l’enseignement encore réticents sur la professionnalisation  par peur de disparition du bénévolat,  la nécessaire implication de la Ligue de l’enseignement dans la création d’un premier Institut de Formation Professionnelle d’animateurs permanents 

Dans cette période, les Mouvements de Jeunesse et d’Education Populaire tels « Les Maisons des Jeunes et de la Culture », « Léo Lagrange » «  La Fédération des Foyers de Jeunes Travailleurs », Le « Mouvement des  Franc-camarades » et d’autres faisaient leur propre affaire de  la formation de leurs cadres.

Il n’existait pas de cursus universitaire ni d’Institut Public de formation initiale professionnelles aux métiers naissants de l’animation.

Aussi, comme à l’accoutumée dès lors qu’en émerge le besoin et qu’elle est de surcroît directement concernée, la Ligue de l’enseignement innove.

Ce  sera la création en 1964 de l’Institut de formation professionnelle des animateurs culturels permanents de la Ligue de l’enseignement, localisée dans le centre de Jarménil, dans les Vosges, peu loin de l’Ecole Normale d’Epinal qui, au travers de certains de ses professeurs volontaires, contribuera à l’encadrement (philosophie, sociologie, psychologie) Un accord fut aussi passé avec « Peuple et Culture » qui dispensera des cours d’Entrainement Mental -, sorte de dialectique opérationnelle et continue: « observer les faits, en tirer des idées, les poser en actes transformant les faits, à nouveau les observer… », Jean Gondoneau, par ailleurs doctorant en sexologie, fut l’animateur efficace de  cette méthode structurante.

Les responsables nationaux de la Ligue de l’enseignement, comme Gallet, Jean Valzac, administrateurs, ou Henri Fauré Président,  Dader Secrétaire Général, viendront y porter la bonne parole, celle  d’un fier mouvement d’éducation dont l’histoire se mêle à celle de l’école et de la République.  Ils hissaient haut l’étendard de la Laïcité tel un saint sacrement.

Ce fut en tout cas tel que je vécus la chose. Ayant intégré, (après l’épreuve réussie d’un concours national en 1967, qui se tint dans les sous-sols du théâtre Récamier à Paris), la 3ème et dernière promotion de 16 stagiaires de ce programme de formation professionnelle  mais aussi philosophique aux valeurs humanistes de la Ligue de l’enseignement.

Ce fut  particulièrement qualifiant ! La formation, dirigée par Jean Naudin et Axel Clément commença en mars 1968 pour deux années d’internat faites de sessions successives de cours théoriques en alternance avec des stages pratiques dans des équipements culturels aux quatre coins de la France et une troisième année d’exercice en réel. Ce sera pour moi la Direction d’un Centre Culturel à la Ricamarie dans la banlieue de St Etienne. Riche expérience humaine. Un examen de fin de cycle sanctionna la formation par un diplôme « d’animateur permanent » délivré par la Ligue de l’enseignement.

J’intègrerai en octobre 1969 la Fédération des Œuvres Laïques du Var comme adjoint au secrétariat général pour la « coordination associative, la formation, le développement urbain, l’action culturelle »… en 1984 je serai élu simultanément au CA national de la Ligue de l’enseignement et Secrétaire Général de la Fol, jusqu’à mon départ à la retraite en 2004.

La Ligue de l’enseignement avait dès le début décidé d’être l’employeur de ces trois promotions d’animateurs  permanents issues du Centre de Formation de Jarménil. Une convention de financement était alors signée entre la Ligue de l’enseignement et le bénéficiaire du poste,- ce pouvait être une collectivité territoriale, une Fol ou encore une association gestionnaire.

Son rôle d’employeur était néanmoins délicat, car elle n’était pas dans la « proximité » de l‘animateur permanent mis à disposition de la structure d’accueil, souvent géographiquement très éloignée et qui voulait de plus faire son affaire du management de ce qu’elle considérait comme son personnel! Des conflits existèrent, j’en fus témoin et même médiateur pour avoir été élu par mes pairs « Délégué du Personnel » en 1969.

Particulières en effet étaient les séances de négociation que j’avais avec Jean Michel Joubert, alors Grand Trésorier de la Ligue de l’enseignement, qui assurait le rôle d’employeur, alors que le « tiers » utilisateur n’était pas là ! Aussi, quelques années plus tard, en 1972,  la Ligue de l’enseignement se désistera de son rôle d’employeur sur les institutions directement utilisatrices des animateurs permanents.

Faut-il dire aussi qu’elle avait eu du mal à reconnaître l’organisation de ces animateurs permanents en « Syndicat professionnel », affilié à la CGT, seule centrale ouvrière à l’accepter. Il fallut pour que la Ligue de l’enseignement reconnaisse enfin officiellement le syndicat, occuper en juillet 1968 le siège parisien de la Ligue de l’enseignement. Le jour même où elle tenait son AG nationale dans le théâtre Récamier. Ambiance !

Ce jour-là je fus chargé d’occuper l’ascenseur qui dessert les étages des bureaux de la Ligue au-dessus du théâtre dans lequel se tenait l’AG. Lieu stratégique !

J’avais tapissé d’affichettes de revendication de reconnaissance et de liberté syndicale les parois de verre de la vieille cabine. A la pause de l’AG, le Secrétaire National, M. Dader, qui  voulait rejoindre son bureau dans les étages, se heurta à mon « occupation » pacifique mais ferme pour qu’un dialogue enfin s’instaure. Il accepta que l’un d’entre nous intervienne à la tribune de l’AG dès la reprise des travaux. Notre camarade de promotion Georges Rosevegue, le plus aguerri de nous tous, se pliera à cet exercice avec succès. L’existence officielle du Syndicat National des animateurs permanents fut enfin reconnue par acclamation le jour de l’Assemblée Générale de la Ligue en  1968.

Ce temps de formation initiale fut poursuivi dans la voie universitaire pour la plus part d’entre nous. Cela grâce à Monique Lasserre,  alors responsable du Service Formation de la Ligue de l’enseignement, qui sut agir sur  les services de l’État nous offrant ainsi  des équivalences pour l’obtention des diplômes d’État qui suivirent (CAPASE, DEFA) Cela me permit de m’inscrire dans un cursus universitaire de formation à l’économie sociale et la gestion d’équipements sociaux, à l’Université d’Aix- en-Provence.

Dans ces années de transition entre bénévolat et professionnalisme, force est de constater, du moins en ce qui concerne la Ligue de l’enseignement, que beaucoup d’animateurs qui devinrent des « permanents » étaient eux-mêmes issus d’un long temps d’implication bénévole antérieur dans des mouvements de jeunesse. Il y avait là comme une continuité dans un métier sans qu’on en ait réellement conscience.

Il y eut comme un effet d’aubaine. Le militantisme bénévole se transformait ainsi en un projet professionnel et de vie…

Jean Jacques Céris

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