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Jean Macé, le républicain militant (1815 - 1894)

Fondateur de la Ligue de l'enseignement

Né le 22 août 1815 à Paris, mort le 13 décembre 1894 à Monthiers (Aisne) ; journaliste et pédagogue français ; proche des milieux fouriéristes, démocrate-socialiste sous la Deuxième République ; fondateur de la Ligue française de l’Enseignement.

Issu d’un milieu ouvrier — son père, ancien soldat de la Révolution et de l’Empire, était conducteur de diligence et sa mère femme de ménage — Jean Macé fut élevé dans le catholicisme par le curé de Saint-Eustache. Grâce à ce dernier, il devint élève boursier au collège Stanislas, d’où il sortit bachelier en 1835 après une scolarité brillante (il fut plusieurs fois primé au Concours général). Il mena au moins jusqu’en 1842, date à laquelle il fut incorporé au 1er léger à Rouen, une existence bohème en partie mystérieuse (selon son meilleur biographe E. Petit, « il pass(ait) volontiers des bibliothèques aux lieux de plaisir »), avec comme seul point stable repéré la protection de son ancien professeur d’histoire, Théodose Burette, dont il fut le secrétaire et qu’il aida en particulier à écrire des ouvrages d’histoire. Ce fut Burette qui, en 1845, le racheta du service militaire.


Après ses études secondaires, Jean Macé qui avait abandonné la foi catholique (sans renoncer à ses convictions déistes), fréquenta certains milieux saint-simoniens, s’imprégna des idées de Philippe Buchez*, Prosper Enfantin* et Pierre Leroux*, avant d’opter plus fermement, semble-t-il, à la fin de la monarchie de Juillet pour le fouriérisme.


La Révolution de Février devait tout naturellement le lancer dans la politique militante, dans les rangs des démocrates-socialistes. Au cours de l’année 1848, Macé écrivit quantité de petites brochures politiques. Il voyait dans l’éducation du peuple le complément indispensable du suffrage universel et témoignait d’un républicanisme à tonalité humanitariste ; son socialisme, de type associatif et gradualiste, apparaît plutôt modéré, car fondé sur la coopération des classes et excluant tout recours à la violence.


De novembre 1848 à juin 1849, Jean Macé dirigea le bureau de la Propagande socialiste, une officine qui expédiait dans les campagnes des journaux et d’autres écrits de tendance démoc-soc. Compromis avec les Montagnards dans la manifestation du 13 juin 1849 contre l’expédition de Rome, il fit l’objet de poursuites judiciaires et se réfugia en Normandie pour échapper à une arrestation. En 1850-1851, il collabora au journal La République, et effectua une longue tournée en province pour en organiser la diffusion. Féministe convaincu, il fit notamment partie de la rédaction de L’Opinion des femmes de Jeanne Deroin* et écrivit aussi des contes politiques pour L’Almanach, organe (de tendance phalanstérienne) des associations ouvrières de Paris et de la banlieue. Il fut également l’auteur d’une Prière socialiste pour les enfants.


Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Macé et sa femme (une ouvrière de treize ans son aînée qu’il avait épousée l’année précédente) trouvèrent refuge à Beblenheim (près de Colmar), dans un pensionnat pour jeunes filles, le Petit-Château, fondé par une protestante, Coraly Vérenet. Macé y devint « professeur de demoiselles », expérimentant des pédagogies non conformistes. Contraint à la discrétion par le climat de l’Empire autoritaire, sa correspondance atteste qu’il ne cessa d’entretenir certaines relations fouriéristes. Au cours des années 1860, la conjoncture nouvelle aidant, il se lança à nouveau dans une action éducative, sociale et même politique intense qui devait lui apporter la notoriété. Il écrivit de nombreux ouvrages de vulgarisation pédagogique ou scientifique, dont la célèbre Histoire d’une bouchée de pain (1861). Avec son ancien condisciple de Stanislas, l’éditeur P.-J. Hetzel, il fonda en 1864 Le Magasin d’éducation et de récréation, périodique à l’intention des enfants et de leurs familles. En Alsace, il créa une bibliothèque populaire à Beblenheim et fut l’un des principaux promoteurs de la Société des bibliothèques communales du Haut-Rhin (1863), soutenue par les notables locaux et le patronat protestant mulhousien. Coopérateur actif, fondateur — entre autres — d’une société de crédit mutuel à Beblenheim, il assista en 1865 au congrès des associations ouvrières allemandes à Stuttgart en tant que correspondant de L’Opinion nationale, journal de l’ancien saint-simonien Adolphe Guéroult*. En juin 1866, il devint franc-maçon, initié lors de la fête solsticiale de la loge La Parfaite Harmonie de Mulhouse. Ses interventions nombreuses en firent très vite un personnage de premier plan dans la Maçonnerie alsacienne, où il prit notamment l’initiative en 1867 de la déclaration de Kehl cosignée par 50 franc-maçons (25 Allemands et 25 Français) pour rejeter l’idée de guerre franco-allemande. Macé avait été du reste l’un des premiers adhérents français de l’éphémère Ligue du bien public, association pacifiste fondée à la fin des années 1860. Au plan politique, il avait également soutenu la candidature ouvrière de Henri Tolain* en 1864.


Ces activités et les réseaux de relations qu’elles supposaient assurèrent le succès de la Ligue de l’Enseignement. Macé en lança l’idée dans L’Opinion nationale le 25 octobre 1866, à l’exemple du mouvement de même dénomination fondé deux ans auparavant en Belgique. Cet appel pour une Ligue de l'enseignement en France explique qu' «Une coalition organisée dans tous nos départements, entre tous les hommes de bonne volonté qui ne demandent qu’à travailler à l’enseignement du peuple, sans plus, cette coalition ne serait pas de trop pour ce que nous avons à faire. Pourquoi, puisqu’on parle de remanier notre système militaire, pourquoi, à côté de l’armée régulière, ne chercherions-nous pas à organiser aussi la landwehr de l’enseignement ?». Un appel qu’il renouvelle le mois suivant : « Je fais appel à tous ceux qui conçoivent la Ligue de l'enseignement future comme un terrain neutre, politiquement et religieusement parlant, et qui placent assez haut la question de l’enseignement populaire, dans le sens strict du mot, pour accepter de la servir toute seule sur ce terrain-là, abstraction faite du reste».

Il créa depuis Beblenheim des publications spécifiques pour faire connaître le projet (Projet d’établissement d’une Ligue de l’Enseignement en France, 1866-1867, puis Bulletin du mouvement d’enseignement par l’initiative privée, 1868-1871). Les adhésions affluèrent, et bientôt les initiatives locales amenèrent la création des premiers cercles de la Ligue de l'enseignement, mouvement que n’interrompit pas la perte de l’Alsace-Lorraine, pourtant berceau du mouvement. Toutefois, en dépit de ce que des informations partielles pourraient laisser croire, les cercles ne recrutèrent guère en milieu ouvrier, mais plutôt parmi les couches moyennes et bourgeoises de sensibilité anticléricale et républicaine, soucieuses de mettre en avant une action philanthropique passant désormais prioritairement par l’éducation du peuple. Les loges maçonniques soutinrent le mouvement (quoiqu’insuffisamment au gré de Macé) et celui-ci rencontra un écho certain parmi les minorités religieuses (protestants et juifs). En 1869, Macé s’était vu offrir la présidence du Cercle parisien, animé en fait par Vauchez, son secrétaire général.


En 1872, il quitta définitivement l’Alsace annexée et se replia au Petit-Château à Monthiers (Aisne) où le pensionnat poursuivit son activité. Macé mêla dès lors étroitement son action pour l’essor de la Ligue et son activité politique en faveur de l’établissement définitif de la République. Il redoubla d’activité propagandiste par les brochures, les journaux, les conférences : ainsi les Lettres d’un paysan d’Alsace à un sénateur sur l’instruction obligatoire (1870) et surtout la série Les Idées de Jean-François (7 brochures en 1872/1873, la huitième en 1876) ou bien, après 1876, sa collaboration régulière à la presse républicaine (Le Siècle, La Semaine républicaine, La Petite République française). Son action contribua à la victoire de la IIIe République.


Macé utilisa cette victoire pour obtenir la consécration de la Ligue. En avril 1881, il convoqua enfin le congrès constitutif de la Ligue française de l’Enseignement, dont il fut nommé président — fonction qu’il exerça jusqu’à sa mort. La Ligue devint un vaste conglomérat associatif, soutenant la mise en place de l’École laïque et participant simultanément à la dynamique patriotique des années 1880. Macé sut toutefois empêcher la fusion, un moment envisagée, avec la Ligue des Patriotes. Il avait choisi son successeur, Léon Bourgeois, qui, à la fin du siècle, devait contribuer à ancrer la Ligue dans le péri et le post-scolaire et à l’imprégner de l’idéologie solidariste.


Couvert d’honneurs par la IIIe République, J. Macé avait été nommé sénateur inamovible en 1883. Lors de son décès, il était devenu un personnage légendaire ; la Ligue de l’Enseignement se chargea d’organiser son culte. Dès 1895, elle lança avec le concours du Conseil municipal de la capitale une souscription en vue de lui élever un monument en bronze, sculpté par Massoule, qui fut inauguré le 13 juillet 1900, place Armand-Carrel, face à la mairie du XIXe arrondissement. Ce monument détruit pendant la seconde guerre mondiale a été remplacé par un autre, plus modeste, en pierre, œuvre du sculpteur Albert David, inauguré le 10 octobre 1961. Après le retour de l’Alsace à la France, un monument fut inauguré par la Ligue de l'enseignement le 3 octobre 1921 sur la place de l’école maternelle de Beblenheim. Il a lui aussi disparu. Enfin un monument, en marbre noir, dû également à Albert David , fut inauguré le 29 avril 1956, à l’entrée du village de Beblenheim.  : c’est là que reposent les cendres de Jean Macé (qui avaient été transférées dès 1946 du cimetière de Monthiers à celui de Beblenheim) et que la Ligue de l'enseignement célébra le centenaire de sa mort en 1994 ; elle lui rendit également hommage lors de son congrès de Strasbourg en 2016.

ŒUVRE :

  • Lettres d’un garde national à son voisin (par Jean Moreau), Paris, impr. de Le Normant, 1848 (Bibl. Nat,.8°Lb51.4424).
  • Profession de foi d’un communiste. Première partie : de la forme actuelle de la société, impr. de A. Lacour, 1848, 36 p. (Bibl. Nat, 8°Lb 53.1196).
  • Discours d’un vrai républicain, impr. de Claye et Taillefer, 1848, (Bibl. Nat, 8°Lb53.489).
  • Prière socialiste pour les enfants, [Paris], lith. mécanique de Quinet, s. d. [1848], in-fol plano.
  • Suspension du club Chabrol. Lettre d’un homme inquiet au citoyen Pinard, procureur de la République, Paris, impr. de René, (oct.) 1848, in-fol., 2 p.
  • Les Vertus du républicain, Furne, 1848, 64 p. (Bibl. Nat, 8°Lb53.491).
  • Petit Catéchisme républicain, Garnier-frères, 1848, 24 p. (Bibl. Nat, 8°Lb53.1614).
  • Histoire des 45 centimes, Gérard, 1851, 128 p. (Bibl. Nat, 8° Lb53.37).
  • Morale en action, mouvement de propagande intellectuelle en Alsace, J. Hetzel, 1865, 263 p. (Bibl. Nat, R.42435).
  • Lettres d’un paysan d’Alsace à un sénateur sur l’instruction obligatoire, J. Hetzel, 64 p. (Bibl. Nat, Ld4.6279).
  • Les Idées de Jean-François, E. Vauchez (Librairie de la Bibliothèque démocratique), 8 vol., 1872-1877 (Bibl. Nat, 8°Lb57.1298 et 8°Lb 57.2398.A).
  • L’Ennemi, tous les libraires, 1880, 144 p. (Bibl. Nat, 8°Ld4.7311). — La Ligue de l’Enseignement à Beblenheim, 1862-1870, G. Charpentier, 1890, 690 p. (Bibl. Nat, 8°R.9949).
  • Philosophie de poche, J. Hetzel, 1893, 176 p. (Bibl. Nat, 8°R.11761).

 

J. Macé fut également l’auteur de nombreux ouvrages à caractère pédagogique :

  • Histoire d’une bouchée de pain, lettres à une petite fille sur la vie de l’homme et des animaux, Paris, Dentu, 1861, 400 p. (Bibl. Nat, 8°Tb10.15), plusieurs fois réimprimé et traduit en plusieurs langues.
  • Théâtre du Petit Château, Paris, Hetzel, F. Didot frères et fils, 1862 (Bibl. Nat, Yf.9988), plusieurs rééd.
  • Les Contes du Petit-Château, Hetzel, 1862 (Bibl. Nat, Y2.49950), plusieurs rééd.
  • L’Arithmétique du grand-papa, histoire de deux petits marchands de pommes, Hetzel, 1863 (Bibl. Nat, V.45413), plusieurs rééd.
  • Les Serviteurs de l’estomac, pour faire suite à l’histoire d’une bouchée de pain, Paris, Hetzel, 1866 (Bibl. Nat, 8°Tb10.18), plusieurs rééd.
  • La France avant les Francs, Paris, Hetzel, 1881 (Bibl. Nat, 8°La2.156).
  • Voyage dans les mondes, les soirées de ma tante Rosy, Paris, Hetzel, 1893 (Bibl. Nat, 8° V.25972).

 

Pour aller plus loin..: 
  • Arch. Préfecture de Police B a/1165 (dossier personnel de Jean Macé).
  • Bibl. Nat., Dép. des manuscrits, nlles acq. franc. : Correspondance Jean Macé/Jules Hetzel (environ 600 lettres).
  • Institut catholique de Paris, fonds Georges Goyeau : Correspondance adressée à Jean Macé (environ 800 lettres).
  • Prosper Alfaric, Jean Macé fondateur de la Ligue Française de l’Enseignement, Paris, Édition du Cercle parisien de la Ligue de l’Enseignement, 1955.
  • Maurice Bloch, « Jean Macé et l’éducation des filles », in Trois éducateurs alsaciens, Paris, Hachette, 1911, p. 95-187.
  • Gabriel Compayré, Jean Macé et l’instruction obligatoire, Paris, Delaplane, 1902.
  • Arthur Dessoye, Jean Macé et la fondation de la Ligue de l’Enseignement, Paris, Marpon et Flammarion, 1883.
  • Jean-Michel Ducomte, Jean Macé militant de l'éducation populaire, Toulouse, Éditions Privat, 2015.
  • Édouard Petit, Jean Macé, sa vie, son œuvre, Paris, Quillet, n. d. (1919 ?).
  • Georges Duveau, La Pensée ouvrière sur l’éducation pendant la Seconde République et le Second Empire, Paris, Domat, 1948.
  • Gaumont, Histoire générale de la coopération en France, Paris, Fédération Nationale des coopératives de consommation, t. I, 1924 et t. II, 1923.
  • Jean-Paul Martin, La Ligue de l’Enseignement et la République des origines à 1914, Thèse d’Histoire de l’IEP de Paris, 1992, 865 p.
  • Jean-Paul Martin, La Ligue de l’Enseignement –Une histoire politique (1866-2016), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
Jean-Paul Martin

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