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Sabine Baudont, la laïcité sur le terrain

Responsable culturelle de la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine

Sabine Baudont, responsable culturelle de la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine, porte, avec une équipe de coordinateurs, musique et spectacles dans les centres de détention de Bretagne. Rencontre avec une militante de terrain, investie au sein du comité national laïcité de la Ligue de l’enseignement.

Pour expliquer son engagement au sein du comité national laïcité de la Ligue de l’enseignement, Sabine Baudont raconte ce barbecue organisé par un animateur de centre de loisirs. Un barbecue hallal, parce que sinon « les jeunes ne viendraient pas ». Bien sûr, elle concède que les discours sur la laïcité sont essentiels. Mais il y aussi la réalité du terrain, « les bénévoles et les animateurs qui doivent faire tourner leurs projets », les décisions à prendre. « Il est parfois difficile de mettre en mouvement les valeurs affichées, observe la jeune femme, responsable culturelle de la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine. « C’est trop simple de dire : “Ne le faites pas car ce n’est pas laïque!” Face à une réalité très concrète, cet animateur, seul devant son public, aurait dû être accompagné. »

C’est pour contribuer à gommer un peu de ce décalage parfois constaté entre discours et réalité que Sabine a récemment rejoint le comité national laïcité, une structure chargée de conseiller les instances de la Ligue sur toutes les situations liées à la laïcité, et dans laquelle siègent d’anciens inspecteurs généraux de l’Éducation nationale, des experts, des professionnels de la restauration scolaire, des militants… « Ce comité permet d’ouvrir le débat, se félicitet-elle. Et de faire remonter les préoccupations des militants vécues sur le terrain pour mieux tenter de leur donner en retour les clés dans leurs actions au quotidien. »

« Quelque chose d’inexplicable… »

Sabine tente de transmettre un peu de son expérience de militante salariée, entamée en 2004 lors de son arrivée à la Ligue de l’enseignement après un troisième cycle de sociologie puis un stage pour la ville de Rennes sur « les stratégies des comités éducatifs ». La Ligue de l’enseignement ?  Elle ne connaît alors pas très bien. Mais elle veut travailler « pour la justice sociale » et apporter sa pierre ; faire un job qui a du sens. Ce sera donc la Ligue d’Ille-et-Vilaine – elle est originaire d’un village voisin des Côtes-d’Armor et a étudié à l’université de Rennes – et son service enfance/jeunesse, avant d’œuvrer aujourd’hui, à 32 ans, à la tête du service « action culturelle et lutte contre les discriminations », qui anime un réseau de six coordinateurs intervenant dans les prisons de Bretagne.

Au siège national de la Ligue de l’enseignement, on décrit une militante « investie et passionnée », repérée depuis quelque temps déjà, « qui apportera son vécu » au comité national laïcité. Et sa vision d’un territoire rural éloigné de la capitale où la diffusion de la culture pour tous relève parfois d’une mission improbable. « Pour beaucoup, les projets culturels sont superflus, particulièrement en période de difficultés économiques, regrette-t-elle. Alors que c’est tout l’inverse! »

L’accès à la culture est un droit, insiste-t-elle, que la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine s’attache à faire respecter en assurant notamment, depuis quelques années, une mission de développement culturel en milieu pénitentiaire confiée par l’État pour le territoire de la Région Bretagne. Temps fort des actions menées par la Ligue 35 : la tournée des concerts d’été en milieu carcéral de l’orchestre symphonique de Bretagne, organisée dans les sept établissements pénitentiaires de la région. À l’été 2012, le temps de quelques heures, la maison d’arrêt de Brest a résonné du West Side Story de Leonard Bernstein, le centre pénitentiaire des femmes de Rennes s’est coloré d’un quatuor à cordes de Schubert, alors qu’un duo de musiciens jouant Mozart habillait la maison d’arrêt de Saint-Malo1.

Le regard bleu-gris de la militante s’éclaire soudain quand elle se souvient du concert d’ouverture de la tournée, en août, lorsqu’a retenti la symphonie numéro 2 de Beethoven dans le gymnase du centre pénitentiaire de Rennes-Vezin. « Quand l’orchestre a joué ses premières notes, il s’est produit quelque chose d’inexplicable, sourit-elle. Il y avait ces détenus captivés, les bénévoles-organisateurs un peu tendus, les musiciens en costume… » La jeune femme parle d’une magie de l’instant et de la possibilité offerte à tous, « peu importe son parcours », d’expérimenter le sensible.

Elle a applaudi très fort, peut-être parce qu’elle-même est musicienne – guitare, basse et un peu de piano. « Mais il n’y a pas besoin de clés de compréhension pour apprécier un concert » relève-t-elle, avant de s’agacer contre les grincheux qui mettent en doute l’intérêt de la musique en prison : « Ceux qui disent que les détenus préfèrent le sport ou qu’il serait plus utile d’apprendre à écrire à ceux qui ne savent pas lire mélangent tout. Ils oublient que l’expérience esthétique nous construit. Et puis on ne peut pas considérer nos actions dans une logique purement comptable. » Mais préviennent-elles la récidive ? « Bien sûr qu’elles y contribuent, même si ce n’est pas mesurable. » Et de marteler : « Je continuerai à me battre pour développer ce genre d’événement. »

La Bretonne a trouvé sa voie pour mieux porter les voix des bénévoles des prisons, des écoles, des festivals… Et c’est parce qu’elle milite au quotidien pour la diffusion culturelle et contre toutes les formes de discrimination qu’elle trouve « naturel et complémentaire » de s’investir en faveur de la laïcité. En n’oubliant pas qu’elle a parfois dû franchir quelques écueils, administratifs ou politiques. Comme lorsqu’il a fallu surmonter, voilà deux ans, la polémique née de la projection du film d’animation Le baiser de la lune. L’histoire poétique de l’attirance mutuelle des poissons Félix et Léon sous le regard d’abord désapprobateur de leur entourage, dont la sévère grand-mère Agathe.

Un film d’animation contre l’homophobie

Un message de tolérance et d’ouverture destiné à faire reculer cette homophobie qui encadre trop souvent l’entrée dans l’adolescence. Seulement voilà : le film de 26 minutes, fruit d’un travail de trois ans accompli par le Rennais Sébastien Watel et porté par la fédération d’Ille-et-Vilaine, a essuyé des critiques jusqu’au plus haut niveau du ministère de l’Éducation nationale, d’abord opposé à sa diffusion dans les écoles primaires avant de finalement laisser les enseignants libres de le présenter ou non à leurs élèves au nom de leur « liberté pédagogique ». Ce film artistique et pédagogique est aujourd’hui mis à la disposition des associations, des enseignants et des éducateurs.

Elle cite encore ce one-manshow de l’humoriste Nouara Naghouche organisé devant une quarantaine de détenus turbulents, ce « manque d’oxygène » et cette « tension palpable » qu’elle a ressentis lorsqu’ils ont commencé à chahuter l’artiste, les sanglots de la comédienne puis les longs applaudissements et cet étonnant échange, tout à la fin, entre l’humoriste et les détenus. « L’émotion était exacerbée parce que nous étions tous enfermés », souffle-t-elle.

À l’écouter tour à tour enthousiaste et remontée, on comprend mieux son engagement. Il prendra un tour inédit l’année prochaine : la Ligue de l’enseignement d’Ille-et-Vilaine tentera d’amener les arts du cirque dans les prisons bretonnes. Un nouveau défi pour continuer de proposer une vie culturelle (presque) aussi riche en prison que dehors. Une expérience, encore une, qu’elle fera peut-être remonter au comité national laïcité. Avec le regard d’une « militante de terrain confrontée à des problèmes de terrain ». Mais qui, en matière de projets et de défis, s’amuse-t-elle, « ne s’interdit rien ».

1. À partir de janvier 2013, Sabine Baudont prendra en charge la mission nationale de la Ligue de l’enseignement « action culturelle en milieu pénitentiaire ».

Sylvain HENRY

Les autrEs portraits autour de la LaïcItÉ

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    1841 - 1932

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  • Jean Macé, le républicain militant

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