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« L’intégration ne signifie pas la négation de ses Origines »

Philippe Moscarola, responsable culturel de la Ligue de l’enseignement de Savoie

Préparer l’avenir en levant les barrières du passé, tel est l’engagement de Philippe Moscarola, responsable culturel de la Ligue de l’enseignement de Savoie, dont les projets foisonnants brassent les générations : «Miroir de l’intégration », «Jouons la carte de la fraternité », «Lire et faire lire »…

Pour Philippe Moscarola, l’avenir s’écrit en retissant les fils du passé. Son ambitieux projet «Miroir de l’intégration », qu’il a lancé en 2004 avec les bénévoles de la Ligue de l’enseignement de Savoie, dont il est le responsable culturel, propose à des jeunes d’aller à la rencontre d’un « ancien » âgé de plus de 60 ans, ayant vécu l’immigration en France pour réaliser avec lui un court-métrage sur l’intégration. Une manière de fixer un passé qui parfois se dérobe. « Certains gamins de banlieue originaires du Maghreb n’osaient pas interroger leurs pères ou leurs grands-pères sur leur histoire familiale parce que chez eux, cela ne se fait pas », raconte Philippe Moscarola, quinquagénaire enthousiaste et passionné dont les mots s’emballent un peu quand il détaille tous ses projets. « Accompagnés de professionnels de l’image, ces jeunes ont alors rencontré leurs voisins de palier ou de quartier aux parcours similaires, qui ont témoigné de leurs échecs et de leurs réussites. »

Ou comment interroger de façon détournée leurs propres racines : « Ces collégiens et lycéens ont ainsi indirectement pu reconstituer les pièces manquantes du puzzle de leur propre histoire », se félicite ce militant. Et figer les fantômes d’hier pour mieux se projeter. De ces expériences individuelles, qui se sont peu à peu étendues à toute la région Rhône-Alpes, est née une démarche collective via des rencontres et des échanges organisés autour de la projection des films.

Philippe Moscarola se décrit comme un « enthousiaste raisonné », lui qui porte un regard « mitigé » sur l’avenir. « Le monde change à toute vitesse, dit-il. Il est essentiel de garder des racines, des valeurs. » Quand on glisse que son propos est un peu candide, presque naïf, le responsable culturel répond en souriant : « Je ne serai pas à la Ligue de l’enseignement si je n’étais pas un naïf plein d’espoir… » Et d’ajouter : « L’intégration passe aussi par le travail de mémoire. »

« L’intégration ne signifie pas la négation de ses origines »

Lui sait de quoi il parle. De son grandpère italien venu travailler comme maçon en Savoie après la Première Guerre mondiale, Philippe Moscarola a gardé un nom aux consonances transalpines. « Mon grand-père a épousé une Française et s’est complètement assimilé à la France en abandonnant sa propre culture, confie-t-il. Je le regrette : l’intégration ne signifie pas la négation de ses origines. Bien au contraire… » Dans la sphère politique, on entend souvent, indifféremment des étiquettes, qu’une « nation sans passé n’a pas d’avenir ». Philippe Moscarola, lui, préfère s’adresser aux individus. Les rapprocher en comblant les fossés du passé, en gommant ces incompréhensions qui peuvent opposer les générations.

Un autre de ses projets, « Lire et faire lire », réunit écoliers d’aujourd’hui et d’hier. Cette initiative a été lancée en Bretagne dans les années 1980 avant d’être déclinée dans toute la France. En venant faire la lecture dans des établissements scolaires ou associatifs, les retraités bénévoles du projet mènent un double objectif : développer la maîtrise de la lecture des enfants et favoriser, comme pour «Miroir de l’intégration », les échanges intergénérationnels. La transmission du savoir et de la mémoire, fil conducteur de l’engagement de Philippe Moscarola…

Fils de parents enseignants, ce « fou de radio » qui se décrit comme un travailleur discret, « presque secret », est passé par l’Ecole normale avant de s’épanouir en marge de l’institution scolaire. « Le périscolaire offre davantage de liberté, constate-t-il. Aujourd’hui, l’Education nationale agit comme un rouleau compresseur qui, faute de moyens, ne laisse plus le temps aux professeurs, en charge de classes souvent surchargées, d’individualiser leur enseignement en fonction de l’évolution de chaque enfant. » Lui, veut leur laisser le temps de prendre le temps : « À la différence de l’école où l’élève, assis sur la chaise de sa classe, reçoit ses cours tel un “client”, nous choisissons de l’associer en coconstruisant avec lui son enseignement. »

«La base de toute société… »

Gommer le passé… et les distances : Philippe Moscarola est aussi l’instigateur du programme « Jouons la carte de la fraternité », lancé au début des années 2000 dans le département, qui implique aujourd’hui près de 200000 enfants dans tout l’Hexagone. Sur une carte postale décorée d’une photographie artistique, des élèves écrivent un message de fraternité et d’ouverture, certains sous la forme d’un poème, et l’adressent, en précisant leurs coordonnées, à des anonymes de leur département choisis au hasard. L’enjeu est double, là encore : mettre en œuvre une action d’éducation artistique autour de la photographie et de l’écriture pour servir, en quelques lignes travaillées, la lutte contre toutes formes de discriminations. Une fois sur dix, le destinataire de cette bouteille à la mer répond aux enfants. Des liens se créent, des inconnus se découvrent. « C’est ce qu’on appelle le “vivre ensemble”, la base de toute société, résume-t-il. Je poursuis mes actions parce qu’elles ont du sens. »

On ne renie pas une vocation, même à 54 ans. La preuve : Philippe Moscarola réfléchit au lancement en Savoie d’un nouveau festival sur l’expression par l’image, événement qui structurerait différentes actions de la Ligue de l’enseignement dans le département. Un projet, un de plus. Et un rêve, celui de faire pousser les racines du «Miroir de l’intégration » jusque sur la scène nationale. « Mais cela suppose un accompagnement, c’est-à-dire des moyens », remarque-t-il, voulant y croire malgré tout. Prêt à déplacer des montagnes savoyardes.

Sylvain HENRY

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