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«il n’y a pas l’école classique d’un côté et l’éducation populaire de l’autre. Tout se complEte.»

Jean-Louis Guilhaumon, président du festival « Jazz in Marciac », maire et ancien principal de collège dans le Gers

Irriguer par la musique un territoire rural coupé de tout. C’est la mission de Jean-Louis Guilhaumon, président du festival « Jazz in Marciac », maire et ancien principal de collège dans le Gers. Rencontre avec un « élu associatif ».

«Pas si mal dans un territoire aussi isolé que le nôtre! » Jean-Louis Guilhaumon s’étonnerait presque de la programmation 2013 top niveau de son festival « Jazz in Marciac » : Roberto Fonseca, Joe Cocker, George Benson, Diana Krall… Et ce ne sont que quelques-unes des étoiles internationales qui étaient attendues pour souffler, au cœur de l’été, les bougies du 36e anniversaire de cet événement musical fréquenté chaque année par plus de 200000 spectateurs. Pas de zéro en trop : ce sont bien quelque 200000 mordus et néophytes qui se déplacent chaque année pendant trois semaines à Marciac, tranquille village du Gers d’à peine 1300 habitants. Pas si mal, en effet…

Les sourires incrédules n’ont pourtant pas manqué lorsque Jean-Louis Guilhaumon a initié l’événement à la fin des années 1970. Du jazz au pays du rugby? Vous n’y pensez pas! « Avec le foyer des jeunes et de l’éducation populaire de Marciac, nous cherchions un événement phare pour animer la région, se souvient le président fondateur. Nous sommes ici dans un désert culturel où il ne se passait pas grand-chose. » Une terre reculée que deux jazzmen de renom avaient adoptée pour y couler une retraite tranquille : le saxophoniste virtuose Guy Lafitte – reconverti dans l’élevage de brebis – et le trompettiste noir américain Bill Coleman.

« C’était un signe ! », s’amuse Jean-Louis Guilhaumon. Certains murmurent que ces trois passionnés se sont retrouvés à Marciac par la grâce d’une bonne fée venue de la Nouvelle-Orléans pour exporter le jazz en terre gasconne. En 1978, ils lancent ensemble l’aventure. L’impensable succès est sur les rails. Depuis, « Jazz in Marciac » a pris son envol pour étendre sa notoriété très au-delà des frontières vallonnées de la région Midi-Pyrénées.

Vice-président de la région

Jean-Louis Guilhaumon a le propos carré des hommes engagés. Retraité de l’Éducation nationale, l’ancien principal de collège, 65 ans, cheveux blancs et légion d’honneur au revers de la veste, est devenu l’une des figures politiques du Sud-Ouest. Maire de Marciac depuis 1995, vice-président socialiste du conseil régional de Midi-Pyrénées depuis 2004, le voilà qui énumère ses déplacements effrénés, hier dans le Tarn, aujourd’hui en Hautes-Pyrénées, demain dans l’Aveyron ou dans le Lot pour parler politiques territoriales et économie touristique, les dossiers dont il a la charge.

Il voudrait faire du sport mais n’a jamais le temps et botte en touche quand on évoque ses talents de pianiste guitariste comme s’il voulait éviter toute comparaison avec les géants qu’il accueille régulièrement. Le trompettiste et compositeur américain Wynton Marsalis, un fidèle parmi les fidèles du festival, lui a un jour proposé un duo. Jean-Louis Guilhaumon a esquivé. La place de l’homme-orchestre du festival n’est visiblement pas sur scène mais en coulisses. « Il faut se battre continuellement pour assurer la pérennité de notre événement, dit-il, dans un contexte de raréfaction des ressources publiques. » Multiplier les partenariats, séduire les mécènes, convaincre que la culture est un outil efficace au service de l’aménagement des territoires.

« Le rayonnement du festival a permis l’essor du tourisme et le développement de nos infrastructures, observe l’infatigable président. Il irrigue notre région. » Le jazz moteur du développement local. Le festival s’est ainsi ancré dans le temps d’abord via un musée des « territoires du jazz », ensuite à travers des sessions d’automne, d’hiver et de printemps accueillies dans une salle futuriste de 500 places à l’acoustique parfaite, l’Astrada, inaugurée en 2011. Ces vingt dernières années, Marciac, cité médiévale millénaire, a par ailleurs été restaurée, les abords de son lac transformés pour accueillir un village de vacances, l’église, dont le clocher serait le plus haut du département, embellie, et l’office de tourisme déplacé dans une demeure imposante du cœur de ville.

La Ligue associée au festival

Ici le jazz n’est jamais loin et sur le parcours du visiteur surgit la statue de Wynton Marsalis figée entre les vieilles pierres des maisons à cornières et le porche de l’ancien couvent des Augustins. Marciac a forgé son identité pour devenir l’un des « grands sites » de Midi-Pyrénées, ces lieux touristiques majeurs de la région. « Le succès de Jazz in Marciac a contribué au renouveau de notre commune, glisse le maire. C’est peut-être ce dont je suis le plus fier. »

Ne dites pas à Jean-Louis Guilhaumon qu’il est un homme politique. « Je suis un élu associatif », s’empresse-t-il de corriger. Il tient à la nuance et se décrit comme un militant « avant tout ». L’ancien élève de l’école normale place l’éducation populaire comme un prolongement « naturel » de ses fonctions d’enseignant. « Il n’y a pas l’école classique d’un côté et l’éducation populaire de l’autre, insiste-t-il. Tout se complète. » Une philosophie qui n’a pas varié depuis qu’il est à la retraite. La preuve : « Jazz in Marciac » s’inscrit chaque été dans une dimension pédagogique en ouvrant en grand ses portes à la Ligue de l’enseignement Midi-Pyrénées.

Organisés pendant le festival, les « Après-midi de la Ligue » accueillent près de 800 personnes le temps d’un parcours culturel de trois jours rythmé de débats, de formations et de spectacles. Entre une conférence « jazz et cinéma » et une visite du musée des « territoires du jazz », la Ligue avait invité cette année Jean-Louis Guilhaumon, en marge des concerts, pour un échange sur l’histoire et le rôle de l’éducation populaire. « Le jazz est une porte d’entrée à toutes les rencontres, sourit le président. Nous ne nous adressons pas qu’aux seuls spécialistes. »

L’ancien professeur a choisi très tôt l’éducation et n’a jamais dévié de sa route. « Je porte des convictions », confie-t-il, prêt à les défendre contre tout et contre tous. Nommé principal du collège de Marciac au début des années 1980, il constate, impuissant, le recul du nombre de ses élèves. Les prévisions de l’Insee sont alors formelles : l’érosion démographique rend inéluctable la fermeture de l’établissement.

Le « projet de résistance » du principal

C’est sans compter sur le « projet de résistance » du principal qui mobilise enseignants et bénévoles pour lancer les « Ateliers d’initiation à la musique de jazz ». Le principal s’appuie alors sur le dispositif des « espaces culturels ruraux » mis en place par l’ancien ministre Jack Lang pour bénéficier du soutien de l’Éducation nationale et des acteurs publics locaux. De moins de 100 élèves en 1993 les effectifs grimpent à plus de 200 aujourd’hui. Le collège est sauvé.

Aujourd’hui encore les Ateliers attirent à chaque rentrée des dizaines d’enfants recrutés sur leur motivation plutôt que sur leur niveau musical. Ici l’enseignement traditionnel se conjugue à des cours de piano, saxophone, trompette, solfège, batterie ou chant, et les jeunes se produisent tout au long de leur scolarité sur plusieurs scènes de l’Hexagone dont bien sûr celle de Marciac. Certains poursuivent jusqu’au plus haut niveau quand d’autres enchaînent avec un lycée classique.

« Nous désacralisons le jazz qui devient populaire et accessible à tous », se félicite le maire. Il a récemment reçu le SMS d’un parent d’élève. « Mon fils a réussi, c’est grâce à vous » disait en substance le message. L’éducation par la musique porte ses fruits, le collège a redémarré et le festival est devenu une référence en Europe. « On ne fait bien qu’avec passion », martèle l’ancien principal, qui balaye toute question sur les lourdeurs administratives de l’Éducation nationale et des institutions publiques : « Il est possible de changer localement les choses si on s’engage à fond. » C’est le maire de Marciac qui le dit et il faut le croire. N’est-il pas celui qui a contredit les prévisions de l’Insee?

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Sylvain HENRY

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